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Rongeur(s)

Rongeur(s)

Massif du Fitzroy - Argentine

Jours deux cent nonante et un et deux cent nonante deux. Du sommeil en tranches. Se réveiller toutes les minutes dans un sac de couchage humide. On gèle. Sans les couvertures « empruntées » à la Quantas, nous n’aurions pas fermé l’oeil de la nuit. Il y a aussi ce petit bruit, lancinant, agaçant, comme un grignotement. Certainement des souris. En parfaits campeurs, nous avions prévu l’arrivée des rongeurs et suspendu la sacoche à victuailles et les déchets à une branche. L’animal doit donc s’attaquer à des voisins. On se rendort, pour sortir la tête du duvet cinq minutes plus tard, énervés par un bruissement de sac plastique.

« C’est toi qui fais ce bruit ? » demande l’un.
« Non, je croyais que c’était toi » Répond l’autre.

On se replie en boule sur le matelas. Le sol est glacé. On ferme les yeux pour somnoler un moment avant que le grignotement ne revienne suivi de bruits de pattes sur la toile. Nicolas sursaute, une bestiole vient de lui passer sur le visage à toute vitesse. Hallucination totale, la tente est parfaitement fermée.

« de 19 »

Debout avant l’aube, ne pouvant plus dormir par ce froid, nous accueillons avec joie l’arrivée du soleil qui vient éclairer un Cerro Torre complètement dégagé. Spectacle magique. Le pic s’éclaire l’espace d’un instant de reflets rouges et oranges.
De retour au camp, nous déjeunons rapidement en gardant les gants et bonnets. La besace à nourriture est intacte. Nous avons dû rêver de rats de montagnes et autres souris des Andes.

En démontant la tente pour la faire sécher, nous remarquons un trou de cinq centimètres de diamètre dans la toile inférieure. Les bouchons de nos gourdes et les tirants de fermetures éclairs de la porte (qui sont faits du même plastique) sont mordillés de partout. Le cabas qui abritait notre tube de dentifrice et les brosses à dents dans les poches intérieures de la tente est déchiqueté. Les rongeurs étaient donc parmi nous.

Nous nous remettons en route. En contournant les Lagunas Hija et Madre nous apercevons enfin le massif du Fitzroy. Une dizaine de lames acérées pointées vers le ciel et entourées de cumulus. De vraies montagnes de cinéma, belles et inquiétantes. Nous arrivons au Campamento Poincenot et plantons notre hutte en face du géant. Transis par le froid, nous nous préparons immédiatement une soupe pour nous réchauffer. Nous soupons en regardant la nuit tomber sur les crêtes. Les dégâts des souris sont réparés avec un peu de toile isolante et nous déplions nos couvertures de survie en aluminium sur le sol pour nous protéger du frimas. Tous les objets en plastiques sont suspendus, bien à l’abri des mulots.

Le lendemain, nous nous levons tôt pour admirer le Fitz et ses satellites dans la lumière de l’aurore. Les parois abruptes se colorent l’espace de quinze secondes.

Après le petit-déjeuner, nous grimpons vers la Laguna de Los Tres pour contempler le massif de plus près. Nous restons un long moment silencieux devant ce tableau. Ces montagnes dégagent quelque chose de particulier, elles en imposent. Sur le chemin du retour, nous sympathisons avec un américain de soixante ans qui voyage sac à dos avec son fils.

En fin d’après-midi, nous retrouvons le village d’El Chaltén, sa poussière et ses courants d’air. Nous nous dégottons une pension flambant neuve et très sympathique et passons notre soirée à discuter avec un couple polonais qui termine comme nous son tour du monde en Amérique du Sud. Discussions animées jusqu’à tard dans la nuit en biberonnant des tasses de l’infâme mixture soluble et veveysanne qui nous sert de café.

    1 commentaire

  1. Relu vos histoires de rongeurs, c’est marrant et je me souviens avoir vécu quelques semblables aventures !
    On vous dira tout ça à votre retour. A l’heure où je vous écris, c’est jours 30 moins un et c’est aussi celui de ton anniversaire Nicolas. Alors fêtez bien depuis la Bolivie je crois ? et arrosez ça avec autre chose que la mixture soluble précitée. Becos à tous les deux
    Sylviane

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